Miroirs, mes beaux miroirs

Guillaume Chandelier
6 min readApr 15, 2021

--

Les neurones miroirs vous connaissez ? C’est très probable, on a toutes et tous déjà entendu ce mot quelque part. Que ce soit dans un film, une série télé médicale, un article à la véracité douteuse ou même un.e collègue à la machine à café qui a découvert dernièrement qu’ils étaient responsables du bâillement et qui est venu vous faire part de sa découverte.

Un peu dans la même idée que ce cher Paul à la machine à café, ce petit article très bref va parler de ce qui réagit dans notre cerveau quand on perçoit un mouvement ou qu’on en réalise un. Pourquoi ? Simplement parce qu’on a tendance à oublier à quel point l’organe situé entre nos deux oreilles à des capacités fabuleuses qui méritent parfois d’être mises en lumière, un peu comme une exposition d’art… mais version scientifique.

Ce qui nous intéresse

La description du mouvement au niveau cognitif peut être très long, on peut l’étudier sous plein d’aspects des sciences cognitifs. Processus mis en jeu du point de vue de la psychologie cognitive, ce qui se passe d’un point de vue biologique, neurobiologie, en terme d’anatomie fonctionnelle, etc.

Mais le but ici n’est pas de donner un cours de neurophysiologie, aussi le “billet” du jour va s’attarder principalement sur deux types de neurones que j’ai trouvé fascinants à la découverte : les neurones miroirs & les neurones canoniques.

Un tout petit peu de contexte avant d’entrer dans le vif du sujet. En simplifiant à l’extrême, le système est composé de 2 types de neurones. Les neurones sensitifs, et les neurones moteurs. Les premiers réceptionnent l’information qui doit être traitée tandis que le rôle des seconds est d’aller effectuer des actions.

Cortex moteur et prémoteur ; Source image : université de médecine de Genève

Les neurones qui nous intéressent se situent dans la zone jaune-orangée du dessin, c’est le cortex prémoteur. C’est dans cette zone que l’on va analyser les mouvements vus et à faire, il participe à la planification du mouvement.

Et si j’ai mis ce schéma ici c’est parce que c’est à cet endroit que l’on a découvert les neurones miroirs dans les années 90 en Italie chez les macaques, et plus récemment les neurones canoniques dans cette même zone. (l’aire F5 pour être précis)

Le cortex prémoteur n’a pas le monopole du neurone miroir, on en retrouve également au niveau de l’aire motrice supplémentaire (AMS pour les intimes), mais aussi le somatosensoriel primaire et le pariétal inférieur (au dessus des tempes, derrière les oreilles).

Les neurones miroirs

On l’a dit dans l’introduction, les neurones miroirs sont les neurones responsables du bâillement communicatif qui fait ravage dans les amphithéâtres le matin à 8h. C’est un type de neurone spécifique du mouvement, ils s’activent quand on réalise un mouvement mais aussi quand on voit quelqu’un réaliser un mouvement ou encore qu’on pense à réaliser un mouvement. Ils sont appelés “miroirs” car ils “reflètent” le comportement de l’autre.

Depuis leur découverte, de nombreuses expérimentations ont été faites et on a attribué aux neurones miroirs un certains nombres de fonctions : l’apprentissage par le geste (imitation), l’empathie/la cognition sociale, mais également le développement de la langue, la conscience de soi, etc.

Un certain nombre de ces théories viennent de Vilayanur Ramachandran, aussi appelé le “Marco Polo des neurosciences”, qui a émis un certain nombres d’hypothèses à la découverte des neurones et de leurs propriétés. A l’heure actuelle, toutes les théories ne sont plus forcément valides, mais je ne pouvait pas faire un article sans citer cet éminent personnage.

Pour ce qui est de l’empathie (comme je l’ai entendu dans mes cours de clinique), il semble un peu abusif de leur prêter autant de capacités. On rappelle qu’à la base, ce sont des cellules du mouvement. Aussi je m’en vais citer une partie de cet article “qui veut la peau des neurones miroirs ?” pour illustrer mon propos :

«Le concept de neurone miroir reste très intéressant, poursuit Stanislas Dehaene. De nombreux scientifiques n’ont pas eu la naïveté de croire qu’il s’agissait de cellules miracles, tel le professeur Marc Jeannerod en France. Mais il est vrai que leur importance a souvent été exagérée. »
Pour Jean Decety, c’est un euphémisme: «Le terme même de «neurone miroir» a favorisé cet engouement. Ces neurones jouent un rôle certain dans le codage des actions, les apprentissages moteurs et les associations sensori-motrices. Mais de là à les rendre responsables de la compréhension des émotions ou de l’empathie, ce n’est pas sérieux ! »

Donc si on résume, les neurones miroirs sont une partie d’un système pointu du cerveau qui a de multiples utilisations, et qui servirait à comprendre actions & intentions, mais également d’être en mesure des les reproduire au besoin.

Source : Neurosciences, ed. Pradel ; Figure 14.10 — Décharge d’un neurone miroir

La figure ci-contre illustre une expérience de Rizzolatti en 1996, les petites barres sur la droite des images montrent les réactions des neurones miroirs qui réagissent au mouvement.

On observe que dans les 3 premiers cas : le neurone miroir de l’aire prémotrice est actif lorsque l’animal saisit une cacahuète, mais également quand il voit un autre singe la saisir, et même chose quand c’est un humain qui saisit la friandise sous ses yeux.

Les réactions électriques sont équivalentes alors que le singe n’agit réellement qu’une seule fois. Même chose chez les humains quand on observe un mouvement fait par quelqu’un.

Donc en résumé, quand on fait , quand on voit et quand on pense à un mouvement, on a une série de neurones qui s’activent pour nous donner un coup de main et ce, sans que l’on ait le moindre effort à fournir. C’est grâce à eux que l’on est capable de savoir que si Paul met la main dans sa poche près de la machine à café c’est pour aller chercher de la monnaie, c’est aussi grâce à ces neurones que l’on est capable de savoir que quand notre moitié nous tend la main c’est pour qu’on la prenne, et ainsi de suite.

Les neurones canoniques

Les neurones canoniques, sont LA raison de cette article. Quand j’ai découvert ce type de neurones j’ai retourné internet, google scholar, et mes livres de neurosciences pour essayer d’en savoir plus tant je trouvais le principe génial.

Situés eux aussi dans la zone F5 du cerveau (dans la partie basale du cortex prémoteur) l’encyclopédie des sciences & religion de 2013 donnait cette définition des neurones canoniques : « Les neurones canoniques sont une classe spécifique de neurones du cortex prémoteur ventral du singe qui se déchargent pendant l’exécution de l’acte moteur et en réponse à la présentation d’objets 3D.[…]»

Pour expliquer les neurones canoniques simplement : au niveau de la cognition visuelle, on a des neurones qui sont là et qui s’activent quand on voit un objet que l’on peut saisir. Juste au cas où. C’est ready, ils sont là pour bricoler ensuite et gérer la préhension/l’écartement de la main. Si on en a pas besoin c’est pas grave, mais dès que l’on a un truc saisissable dans le champ de vision ça s’active pour préparer l’action.

On peut voir les neurones canoniques et leur activation comme une préparation/anticipation du cerveau à une interaction possible avec un objet dans le champ visuel. Une sorte de congruence visuomotrice.

Si on faisait une analogie avec un autre domaine auquel on rapporte souvent les neurosciences à savoir l’informatique, les neurones canoniques seraient une sorte de tâche de fond, qui tournerait derrière et qui aiderait au lancement de programmes (nos actions) au moment voulu. Ce qui est plutôt cool, je vous l’accorde.

Bref,

En définitive, cet article avait simplement pour but de vous émerveiller un peu sur la myriade de choses que fait votre cerveau sans même que vous vous en rendiez compte, et ce à chaque instant.
Comme d’habitude les sources sont juste en dessous, et je conclus avec cette citation de Ramachandran que je trouve parfaite pour terminer :

Our ability to perceive the world around us seems so effortless that we tend to take it for granted.

Vilayanur S. Ramachandran

Traduction :

« Notre capacité à percevoir le monde qui nous entoure semble si simple que nous avons tendance à le prendre pour acquis. »
-
Vilayanur S. Ramachandran

--

--

Guillaume Chandelier

Étudiant en M1 Neuropsychologie et Neurosciences Cliniques à l’UGA, passionné d’un tas de trucs que j’essaie de partager ici de façon simple et compréhensible.