Une carte du cerveau ? Petit cours de neuroanatomie fonctionnelle

Guillaume Chandelier
12 min readMar 9, 2022

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C’est en écrivant un article qui sortira prochainement que je me suis rendu compte que je mettais beaucoup de noms de zones cérébrales, d’aires, de structures, etc. Alors que je n’ai jamais mis de réel basique sur la neuroanatomie cérébrale.

Un sujet beaucoup trop vaste, des approches infinies, des illustrations, 10 minutes d’articles. Voilà ce que je vous propose pour réussir à comprendre ce qui se situe où dans votre cerveau, et à quoi ça sert.

Disclaimer : à des fins de vulgarisation je risque de commettre des imprécisions aux yeux de personnes ayant des connaissances avancées en neurosciences. A commencer par l’approche très localisationniste qui est aujourd’hui un peu dépassée pour laisser place à un modèle plus connexionniste. Ceci étant dit, on peut y aller.

L’encéphale, substrat biologique de la pensée

La biologie

Organe de 1500g en moyenne, le processeur de notre pensée ferait 4000cm² si on le dépliait entièrement (ce qui équivaut à une grande cage pour hamster, mais si bien plié qu’il rentre dans notre boite crânienne). On regroupe sous le terme encéphale 4 parties de notre système nerveux central situé dans le crâne : le cerveau que tout le monde connait (télencéphale + diencéphale), mais également le tronc cérébral ainsi que le cervelet.

On peut ici observer le cerveau (un de ses hémisphères), le tronc cérébral en dessous qui le relie à la moelle épinière ainsi que le cervelet en arrière à droite de l’image. Source : Neurosciences, Bear ; Ed. Dunod.

C’est un ensemble de réseau de neurones interconnectés les uns aux autres, qui vont pouvoir traiter de l’information et ce très rapidement. Les neurones ne sont d’ailleurs pas les seules cellules du système nerveux puisque la recherche a établi depuis déjà de nombreuses années l’intérêt des cellules gliales (douglas field et al., 2013), qui sont des cellules ne produisant pas d’influx nerveux mais dont le rôle est le soutien et la protection des neurones (Jessen & Mirsky, 1980).

Les neurosciences

Les neurosciences sont un ensemble de disciplines qui s’intéressent à l’étude du substrat biologique de la pensée, le cerveau (Ramus, 2017). Ici nous allons nous intéresser plus spécifiquement aux aspects neurocognitifs. En effet, le cerveau est en mesure de réaliser de nombreuses tâches allant de fonctions essentielles (voir, écouter, nous permettre de nous mouvoir…) mais également des fonctions plus complexes comme le montre l’infographie ci-dessous, adaptée d’un article de Sachdev et al.(2014), qui reprenait les fonctions neurocognitives essentielles :

Illustration originale en lien cliquable

On a donc une multitude de fonctions, des plus basiques aux plus avancées toutes administrées par un même organe qui représente 2% de notre masse corporelle mais consomme à lui seul 20% de la consommation énergétique.

Des zones de fonctionnement ?

C’est en 1861 que le médecin français Paul Broca présentait ses travaux sur un patient atteint d’aphasie suite à une lésion d’une zone précise du cerveau qu’on nomme encore aujourd’hui aire de Broca. C’est le début du courant localisationniste en neurosciences, le fait de penser que chaque zone du cerveau traite une fonction bien précise. 48 ans plus tard, le neurologue allemand Korbinian Brodmann créa une carte complète des aires du cerveau, numérotées de 1 à 52 et toujours utilisées, les fameuses aires de Brodmann.

Source image : Université McGill

Suite a des expériences ainsi qu’à des recherches sur des patients qui ont recouvré des fonctions de zones perdues après des traumatismes (c.f. l’erreur de Broca, H. Duffau, et Duffau & al., 2014) la pensée localisationniste a été chamboulée par les travaux sur la plasticité cérébrale. Elle a depuis évoluée en passant par une ségrégation fonctionnelle des zones, pour arriver in fine à la pensée connexionniste depuis la fin des années 80 (l’idée que les zones cérébrales sont en interaction permanente dans une idée d’efficacité et d’adaptation.

C’est pour ces raisons que le disclaimer en début d’article est présent. Je vais lister des zones qui gèrent des fonctions majoritairement, mais il faut garder en tête qu’une zone ne gère pas qu’une seule fonction, et qu’une seule fonction n’est pas supportée par une seule zone. C’est une simplification à but de compréhension.

Quelles zones pour quelles fonctions

La géographie du cerveau

Quand on s’oriente dans le cerveau, on fait généralement référence à des positions anatomiques. Pour l’avant du cerveau (vers le front), on parle des zones antérieures, pour l’arrière des zones postérieures et enfin des zones latérales pour les côtés.

Orientation cérébrale. Neurosciences, Dunod.

On a donc nos références anatomiques sur la longueur et la profondeur, il nous manque les positions de la largeur du cerveau. Le haut et le bas. En anatomie classique, le haut et le bas d’un organe sont définies par les termes “Crânial” (rapport au crâne) et “Caudal” (rapport à la queue). En neuroanatomie, on fera plutôt référence à supérieur pour le dessus, et inférieur pour le dessous.

Maintenant que l’on a vu l’orientation, passons aux zones/aires cérébrales. On définit par lobe cérébral une zone du cerveau définie et on en compte 5 que sont le lobe frontal à l’avant du cerveau en regard de l’os du front (d’où son nom), le lobe pariétal en arrière du lobe frontal, le lobe occipital au niveau de l’occiput (partie arrière et inférieure de la tête), le lobe temporal au niveau des tempes, et enfin le lobe insulaire caché à l’intérieur du cerveau derrière le lobe temporal. L’ensemble de ces zones est représenté dans le schéma ci-dessous :

Les lobes cérébraux. Illustration : Neurosciences, Dunod.

Avec ces termes, on peut donc s’orienter efficacement dans l’ensemble du cerveau avec un simple nom de zone. Ex : L’aire de Broca est située dans la zone inféro-postérieur du lobe frontal. Où cela se situe-t-il ? En décomposant le nom, on sait qu’on se situe dans le lobe frontal à l’avant, inférieur donc sur la partie basse, et postérieure donc le plus à l’arrière possible. Si on prend ces coordonnées on tombe ici :

Gif représentant l’aire de Broca dans le cerveau

Plutôt facile non ? On décompose le nom, et on arrive toujours à retomber sur la zone cherchée.

Les rôles des zones du cortex

Le terme cortex est un mot latin qui signifie écorce. On dénomme cortex les zones externes du cerveau, celles que l’on peut voir sur les schémas, les représentations, etc. C’est un ensemble de matière grise qui va traiter de l’information (c’est le corps des neurones, par extension à la matière blanche leurs axones donc le rôle est la transmission de l’information).
Encore une fois, une zone n’est pas égale à une fonction. Néanmoins, pour les étudiant.e.s qui découvrent la neuroanatomie et qui veulent s’y repérer, voilà les grands divisions et les rôles auxquels elles sont normalement associées :

  • Le lobe frontal est le lobe de la cognition et de l’action. Il va se diviser en 2 parties :
    - le lobe préfrontal (en avant du cerveau) : pour la cognition avancée et le comportement. C’est le siège des fonctions cognitives supérieures (les fonctions exécutives comme présentées précédemment par exemple, ou encore le calcul)
    - la partie postérieure est la zone motrice du cerveau. C’est dans cette zone que l’on prévoit le mouvement et que l’on déclenche son exécution.
  • Le lobe pariétal est généralement associé à la gestion sensorielle. Il regroupe les fonctions suivantes :
    - Une partie de la perception et de la gestion de l’attention, comme par exemple la voie du où (Mishkine & Ungerleider, 1982) dont on parlera dans un prochain article.
    - Il reçoit et traite les informations sensitives, mais aussi douloureuses après leur passage dans le thalamus.
    - Il permet la somatognosie (Guiose, 2012) : le fait de reconnaître que notre corps nous appartient bien.
    - Et enfin, le lobe pariétal a également un rôle dans la praxie, le fait de faire des gestes dans un but précis (mouvement de salut, se brosser les cheveux, faire semblant, etc.).
  • le lobe temporal est le lobe de la mémoire et de l’audition.
    - Il a une rôle dans une partie de la reconnaissance (sons, visages, autres stimuli..),
    - Traite les signaux auditif,
    - Il a aussi un rôle de gestion des émotions (Kosslyn, 2007)
    - Et enfin un rôle dans la gestion de la mémoire (Penfield & Perot, 1963). ⚠ Attention, la gestion uniquement, parce que le stockage peut s’effectuer partout dans le cerveau. ⚠
Illustration des différentes aires corticales classées selon leur fonctionnement plutôt moteur, sensitif ou associatif (mise en commun de modalités et de stimuli)
  • le lobe occipital, est le lobe de la vision. tout simplement. Est-ce que c’est de là que vient l’expression “avoir des yeux derrière la tête” ? Je ne sais pas, mais le fait est que toutes les informations visuelles reçues passent à l’arrière du cerveau
    - Il est divisé en aires visuelles, chacun augmentant un peu le niveau de traitement de l’information. Du début avec V1 la première zone qui gère la reconnaissance des formes, jusqu’aux aires les plus avancées par exemple V5 qui gère la perception du déplacement des objets.
    - C’est un lobe très développé chez l’Homme. (On postule que c’est pour des raisons de survies à l’époque des premiers hommes, il fallait voir et reconnaître rapidos les dangers pour détaler en vitesse avant de se faire bouffer par un tigre).
Un aperçu des voies visuelles, il y a beaucoup trop de subtilités pour traiter cette question ici. Source Illustration : McGill University
  • le lobe insulaire enfin, qui est le lobe de la conscience. C’est grâce au lobe insulaire que l’on a conscience d’être nous. (c’est aussi cette partie qui répond à la question ésotérique du “mais au delà du cerveau, la conscience elle est où ?” … eh bien ici.)
    - L’insula est connu pour être le lobe de la gustation (on y retrouve le cortex primaire gustatif, le premier relai dans le cerveau du goût), et il intervient également dans le dégoût. (Pritchard, T. C., Macaluso, D. A., & Eslinger, P. J. (1999))
    - les phénomènes de dépendance (Nakvi et al. 2007)
    - ou encore la conscience de soi. (Karnath et al., 2005 ; Craig, 2009 ; Tsakiris et al., 2007).
    - enfin il est aussi rapproché des fonctions limbiques dont on va parler ensuite. (Luan Phan, 2002)
Version anglophone des fonctions des aires cérébrales. Source : Université de Queensland, Australie.

Le rôle des éléments internes

Avec l’explication des rôles du cortex on a déjà traité une bonne partie de l’information, il ne nous reste qu’à voir ce qui se cache sous le cortex, l’ensemble d’éléments ne faisant pas partie du télencéphale (les hémisphères) mais du diencéphale (l’ensemble des structures profondes du cerveau) ainsi que les ganglions de la base, ou noyaux gris centraux.

Le diencéphale comprend 3 structures :

  • le thalamus(qui contient de nombreux noyaux), et dont le rôle principal est d’être un relai des informations (Gazania ; Cognitive Neurosciences, 2014).
    - On peut largement le voir comme le centre d’appel du cerveau, toutes les voies sensitives (avec une ou deux petites exceptions) passent d’abord par le thalamus qui va ensuite redistribuer l’information dans l’ensemble du cerveau.
    - Cette fonction est assurée par les nombreux noyaux qui le composent. Illustration ci-dessous :
Voies thalamiques
  • l’hypothalamus : ( + hypophyse = complexe hypothalamo-hypophysaire) qui joue le rôle d’interface entre le système nerveux et le système endocrinien (production de substances par le corps).
    - Il a par exemple un rôle sur la régulation des rythmes de sommeil et circadiens (Saper et al., 2005)
    - L’hypothalamus fait aussi partie du système limbique (gestion du comportement et des émotions), et il est relié à l’amygdale, dont le rôle est la gestion de la peur & de l’anxiété.
  • l’épithalamus : constitué de l’épiphyse (ou glande pinéale) et habenula
    - Rôle dans le contrôle du sommeil, de la faim et de la soif.
    - Le sommeil est géré principalement par l’épiphyse, qui produit de la mélatonine, l’hormone du sommeil. C’est d’ailleurs une glande très sensible à la lumière (Korf 1998) et également la lumière bleue des écrans, et c’est pour cela qu’on a du mal à dormir après avoir regardé l’ordinateur, la télé et d’autres appareils tard (production de mélatonine retardée).

Les ganglions de la base (ou noyaux gris centraux, NGC) sont un ensemble de noyaux pairs situé en profondeur du cerveau. On compte dans les NGC : Noyau caudé, Putamen, Globus Pallidus, noyau subthalamique & substance noire. Certaines structures se redivisent encore, mais je ne vais pas faire une longue liste cette fois car ils ont des fonctions assez communes :

  • Rôle clé dans la motricité : l’initiation et le contrôle volontaire du mouvement.
  • Rôle cognitif : fonctions exécutives, apprentissage.
  • Rôle limbique : émotions et motivation.
Vue d’artiste des ganglions de la base. Origine : Wikipédia.

Ils sont donc majoritairement impliqués dans la motricité. Et c’est souvent eux qui vont poser problème lors de certaines maladies neuro-dégénératives : Cf. la Maladie de Parkinson, une dégénérescence des neurones dopaminergiques de la substance noire qui engendre d’importants troubles moteurs et cognitifs.

Le cervelet, souvent négligé, toujours essentiel

La dernière partie à voir dans notre cerveau c’est évidemment le cervelet. Encore une fois un dérivé du latin Cerebellum qui signifie petit cerveau, car il a une organisation similaire à ce dernier (cortex, noyaux, substance blanche). MAIS, le cervelet contient plus de neurones que toutes les autres parties du cerveau réunies, mais il ne représente que 10 % du volume total du cerveau. Pas si mal comme petit processeur non ?

Le cervelet, comme le cerveau, comporte 2 hémisphères (gauche & droite), mais il a aussi au centre le vermis qui les relie. Il a un rôle important dans le contrôle moteur : régulation du tonus musculaire, équilibre, ajustement des mouvements.

Il est divisé en 3 régions, qui gèrent chacune les fonctions par ordre d’apparition évolutives :

  • L’archéo-cervelet (ou vestibulo-cervelet, en vert sur l’image) : Partie la plus ancienne, apparaît tôt au niveau de l’évolution (présent chez les poissons), a un rôle dans la modulation de l’équilibre, module l’action d’équilibre de la voie vestibulo-spinale (la voie qui nous permet de tenir debout en équilibre via le système vestibulaire de l’oreille).
  • Paléo-cervelet (ou spino-cervelet, en rose sur le schéma) : Partie un peu plus récente évolutivement, (chez les reptiles et oiseaux), constitué essentiellement du vermis. Sa fonction principale, la régulation du tonus musculaire (activité musculaire toujours présente pour rester dans une certaine position) surtout pendant l’exécution du mouvement = support postural du mouvement
  • Et enfin le Néo-cervelet (ou cérébro-cervelet, en bleu sur le schéma) : Partie la plus récente, constituée essentiellement du cortex cérébelleux, qui a la fonction la plus complexe évolutivement : ajuster le mouvement moteur en comparant le projet moteur avec son exécution. Chercher des erreurs motrices (écart entre ce qu’on veut faire et ce qu’on fait réellement) pour réajuster en permanence les commandes motrices. C’est en quelque sorte le contrôle moteur, l’inspection des travaux finis.
Source image (cliquer)

Cerveau droit et cerveau gauche ?

Qui n’a jamais entendu parler du célèbre neuro-mythe “je suis plutôt cerveau droit moi, je suis très créatif” et autres dérivés colorés de cette invention ? On ne peut en effet tenir ce genre de propos en étant rigoureux, et cela relève évidemment du neuro-mythe & des croyances pseudoscientifiques.

Cependant, s’il est faux de dire que l’on peut être plutôt l’un ou l’autre, la littérature donne des notions de dominance/spécialisation hémisphérique. Les hémisphères cérébraux peuvent être spécialisées dans le traitement d’un type d’information. Par exemple on sait qu’il existe une prédisposition au développement du langage côté gauche, et ce dès les premiers mois de la vie (Dehaene-Lambertz et al., 2002). Donc pour conclure cet article sur “quoi se situe où dans le cerveau”, on va juste regarder un tableau qui présente l’asymétrie fonctionnelle du cerveau :

Tableau récapitulatif de l’asymétrie fonctionnelle du cerveau humain. Adapté de Pinel, J. (2007). Biopsychologie. 6e édition. Paris : Pearson. .

C’est évidemment ici encore un résumé, il est impossible de traiter l’ensemble du sujet ici. Néanmoins grâce à ce tableau et aux notions du dessus, il est possible de s’y retrouver nettement plus vite dans le cerveau quand on en entend parler. Et pourquoi pas, réussir à débusquer certains propos sorti tous droit de l’invention des auteurs pseudoscientifiques.

The brain is wider than the sky
~Emily Dickinson, 1862

Sources :

Il y en a pas, pour une fois elles sont toutes directement dans le texte. Mais au cas où…

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Guillaume Chandelier

Étudiant en M1 Neuropsychologie et Neurosciences Cliniques à l’UGA, passionné d’un tas de trucs que j’essaie de partager ici de façon simple et compréhensible.