L’art oratoire - partie 1 : théorie & techniques de bases.

Guillaume Chandelier
18 min readJun 17, 2022

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Cette page est une ébauche (une parmi tant d’autre) personnelle sur l’art de parler, l’art de bien parler ou simplement l’art de mieux parler. J’ai essayé de le rendre direct et simple à comprendre, d’en faire un truc pratique plus qu’un recueil universitaire (et c’est pas idéal je sais), mais qui soit facile à prendre en main pour quelqu’un qui en aurait besoin et qui le lirait.

J’ai divisé l’article en 3 parties : la première sur les techniques de bases, la seconde sur la construction du discours et la dernière sur l’entrainement et la gestion du stress. Chacune à son importance et mérite d’être étudié du coup bonne lecture !

Pour une version plus lisible, je vous invite à venir ici : https://guillaumechandelier.notion.site/L-art-oratoire-66b27b088edd48108c159ceb4e81d0f1

I. La théorie

🔸C’est quoi l’art oratoire ?

L’éloquence, la rhétorique, le bagout, la tchatche… il existe un tas de mots qui peuvent se rapporter à l’art de causer. N’ayant pas de définition en tête, je vais me contenter de présenter celle de l’école de l’art oratoire qui nous dit ceci :

Au croisement de la rhétorique et de l’éloquence, l’Art Oratoire est l’art de convaincre, d’émouvoir par la parole.

On pourrait donc y voir une balance avec d’un côté la rhétorique qui fonde les bons discours avec des formules et des mots bien sentis et bien amenés, et de l’autre côté l’éloquence qui attrait plus au côté virtuose de la chose. L’art oratoire étant la réunion des deux aspects de la balance, dans un tout bien équilibré qui permettrait de convaincre ou émouvoir notre auditoire.

N’importe quel discours de Barack Obama est une pépite en terme de construction et surtout en terme de réalisation. Il incarne à merveille l’éloquence et la rhétorique des bons orateurs.

🔸Pourquoi bien parler ?

L’humain est avant tout un animal de parole, de dialogue, depuis la nuit des temps nous avons développé des dialectes pour nous comprendre et échanger entre nous. Le langage humain serait apparu il y a environ 250 000 ans chez l’Homo Sapiens (Perreault & Matthew, 2012).

On comprend donc l’intérêt de développer sa parole, être en mesure de convaincre ou émouvoir c’est exercer un important pouvoir sur ses congénères, et être en mesure d’influer (en bien ou en mal ) sur les pensées de chacun.

Je ne suis évidemment pas en train de dire qu’il faut devenir des dictateurs en puissance, d’ailleurs je ne pense pas qu’on puisse devenir le maître du monde simplement avec de bons discours. En revanche, je suis persuadé qu’avec une bonne maitrise de la langue et ce qui y est associé on peut faire de vrai miracles si on est bien intentionné, et de véritables massacres si l’on suit ses propres intérêts.

Deux rapides exemples qu’on pourrait qualifier de côté lumineux et côté obscur de la force. Je n’irais pas tomber dans les point godwin et autres exemples datés de l’histoire, prenons dans le présent.

Idriss Aberkane est probablement le meilleur exemple de mon paragraphe précédent. Cet hyperdocteur selon ses dires, est à mon sens le meilleur exemple des ravages qu’on peut faire avec une bonne maitrise rhétorique.
On obtient un électron libre pseudoscientifique qui, par ses talents d’orateurs, devient une véritable machine à propager les fake news dans les domaines où il a un intérêt.
J’ai pu me faire avoir à mes débuts à boire ses paroles sans me rendre compte des ressorts derrière, et il est effrayant de se rendre compte à quel point cet effet fonctionne avec de nombreuses personnes.

Idriss J. Aberkane

A l’inverse, je place un autre maître de la rhétorique qui, par ses analyses chirurgicales de la langue ramène un peu de raison au milieu des discours habiles qui endorment les auditeurs & auditrices.
Par une explication des mécanismes qui sous-tendent les discours, Clément Viktorovitch donne aux gens qui l’écoutent de véritables outils d’auto-défense intellectuelle.

Clément Viktorovitch

🔸Voir un discours ? Le nuage de mots

https://nuagedemots.co/

Le nuage de mots est à l’origine une représentation visuelle des mots présents dans un site web. En analyse, c’est un outil fabuleux qui permet de voir visuellement le poids de chaque mot dans un discours !

Pour exemple, j’ai pris le discours du président de la république Emmanuel Macron lors de son allocution aux français le 16 mars 2020, discours qui annonçait le début des confinements lors de la crise sanitaire.

On peut donc voir visuellement le poids de chaque mot du discours.

J’ai pris la liberté de retirer les mots sans intérêts tels “aussi”, “car”… qui n’apportent par au nuage de mot.
  • on voit que le “Je” est presque aussi grand que le Nous qui est lui très présent pour rappeler que c’est un effort collectif.
  • On voit que le “demain” est très représenté ce qui montre la volonté du discours d’être porté sur l’avenir
  • Et enfin que même si la majorité des gens sont restés sur le “nous sommes zenguère” il y a beaucoup d’autres choses à voir et donc ça montre l’importance des mots forts ou chargés de sens dans un discours.

Si vous avez votre discours d’écrit, pourquoi ne pas le passer au nuage de mots pour voir ce qui ressort en premier lieu comme idées ?

II. Techniques

🔸Les bases :

Se tenir droit

La verticalité de l’orateur, c’est la base. Comme dans d’autres disciplines, la verticalité est la condition sine qua none pour une bonne performance : musique, théâtre…

Cela passe par 2 choses :

  1. Se tenir droit
  2. S’ancrer au sol

🔹Se tenir droit : c’est garder le dos droit, ne pas s’avachir sur soi, et paraitre autant que possible “fort.e” visuellement. Rien de pire que quelqu’un qui parle vouté, ou avachi sur son pupitre/bureau.

⇒ L’idée pour être droit.e c’est de visualiser le sommet de son crâne et de le tirer le + possible vers le haut (exercice bon pour le dos, même assis). De cette manière on garde une certaine droiture et notre posture aide à mieux parler.

(⚠️on ne parle pas de faire le piquet de clôture hein ⚠️)

🔹S’ancrer au sol : c’est l’assurance d’être stable. On a tou.te.s déjà vu quelqu’un qui parle en dandinant, alternant d’un pied sur l’autre, à tel point qu’on se demande si le parquet est chaud où s’il y a des punaises sur la scène. Ne plus savoir sur quel pied danser prend alors tout son sens.

⇒ Quand on parle, on place ses deux pieds au sol, légèrement écartés de la largeur des épaules ou un peu moins selon l’amplitude dont on dispose avec notre tenue (big up aux jupes crayon & talons qui font passer un exercice oral en un numéro d’équilibriste et à celleux qui y survivent).

Pour savoir si on s’ancre au sol convenablement, on peut faire l’exercice du métro/tram :

On se met dans le métro ou le tram entre 2 rames et on met ses pieds au sol à plat, si jamais on ne tombe pas au moment du freinage c’est qu’on est bien ancré. Sinon, il faut voir pour changer sa posture.

Faire sonner le silence

La plus grande force d’un orateur, c’est son silence.
-Clément Viktorovitch

Ce n’est évidemment pas l’inventeur de ce concept, mais il le vulgarise très bien. D’autant qu’à une époque, il a pu avoir l’occasion de mettre un seconde de silence au milieu d’un brouhaha infini sur le plateau de Pascal Praud sur CNews et c’est effectivement un exploit rhétorique.

Le silence, plus que tout le reste, est ce qui donne sa puissance à un discours. Il faut l’apprivoiser, et ne pas avoir peur d’en user. Une ou deux secondes de silence après une longue phrase, et même de temps à autre sont une pause pour l’orateur et un poids de plus à ses paroles.

Prenez n’importe quel orateur.ice et observez les silences produits lors des discours (les personnes passant le concours Éloquentia ou tout autre concours d’éloquence l’ont bien compris). De longs silences, parfois plus courts, mais toujours posés à point.

  • Il y a un silence infiniment important : le silence juste avant de prendre la parole, qui est déjà la parole elle-même. Juste être devant l’auditoire et balayer un peu du regard en attendant le moment idéal pour parler. Prendre une inspiration, et se lancer 2 secondes plus tard détendu.e, voilà ce qui donne de l’impact dès le début.
  • Un autre c’est juste après une question rhétorique (ndlr : qui n’appelle pas à une réponse), on pose une question, et on la laisse résonner dans le silence de la pièce.
  • Exemple dans le cas d’un discours pour une élection étudiante : “Vous avez donc maintenant à choisir qui élire. (mini silence) Est-ce que votre choix se portera sur la popularité ? Choix évident lorsqu’on est étudiant, ou bien se portera-t-il en futurs adultes réfléchis sur la personne qui vous promet une vraie réflexion sur nos conditions ?” (silence)
  • nettement + impactant qu’une simple question où on enchaine vous en conviendrez.

Croire en son discours

Peut être le seul conseil à retenir ? Si l’on veut être convaincant, il faut d’abord être convaincu. Convaincu de soi, de son discours, de ses arguments. C’est une évidence, on sent immédiatement quelqu’un qui parle de quelque chose qu’il/elle ne maitrise pas, ou auquel il/elle ne croit pas. Ca se ressent, et c’est pas agréable, pour personne.

En conclusion, lorsqu’on fait un discours, il ne faut pas réciter son texte, il faut avoir envie de convaincre les gens. C’est ce qui fait toute la différence entre un Robert Badinter qui plaide contre la peine de mort, et un Jérôme Cahuzac qui explique maladroitement qu’il n’a jamais eu de compte en suisse.

Point bonus : s’amuser, c’est important. Un exercice oratoire doit avant tout être un moment de plaisir pour celui/celle qui le réalise, c’est un moment d’échange avec son auditoire. On peut utiliser de beaux effets pour asseoir son propos, de l’humour pour décontracter tout le monde, mais dans tous les cas ça reste un échange. On s’adresse avant tout à des humains.

L’évangile selon Muldoon

A mes débuts, je cherchais un peu comment faire pour mieux causer. Et j’ai trouvé cette petite liste crée par Francis Xavier Muldoon, publicitaire britannique qui a ensuite inspiré des livres de développement personnels sur la communication. Les conseils ici sont nettement meilleurs que ceux du livre dont ils sont issus, et considèrent des prérequis assez évident mais qu’il est nécessaire de rappeler. Je les ai donc légèrement remaniés, pour rappeler les basiques de la com.

  1. La première impression que vous dégagez est déterminante. Ne la sous-estimez pas ! Car cette impression va conditionner le reste de la discussion. Parfois, cela conditionne aussi ce que les gens pensent de vous à vie.
    ca s’appelle l’effet de primauté, et on y reviendra dans la suite du doc.
  2. Votre message va là où portent votre voix et votre regard. Il est important de regarder votre interlocuteur dans les yeux. Votre regard inspire la confiance auprès de votre interlocuteur. Ajoutez-y un sourire, et cela vous donnera l’image d’une personne heureuse et confiante.
    Et on rappelle que le sourire est contagieux.
  3. Vous devez savoir vous fondre en société. Adaptez-vous à votre interlocuteur. Des techniques de synchronisation permettent d’établir un contact immédiat.
    Sans jouer le patin, calquez vous sur la gestuelle de la personne face à vous.
    → Idem au niveau para-verbal, la personne parle fort est énervée, montez un peu le ton pour aller la chercher, puis baissez le progressivement pour la faire redescendre avec vous.
  4. L’imagination est le moteur du cœur. Utilisez un langage riche en images. Sollicitez les sens de votre interlocuteur, et vous captiverez son imagination. Votre opinion et votre discours doivent avoir du sens. Vos arguments doivent faire appel à l’imagination et aux émotions de votre interlocuteur.
    On y reviendra au niveau de la construction. Mais pour convaincre quelqu’un, les images et les émotions sont un de vos meilleurs atouts.
  5. La confiance est liée au titre ou à la réputation. Soignez votre attitude et votre aspect général.
    Le titre prime bien souvent c’est ce qu’on appelle un argument d’autorité (ce qui explique que des gens écoutent sans broncher un médecin qui raconte des dingueries sur youtube).

L’attitude et l’aspect général rejoint l’aspect physique, « L’habit de fait pas le moine » est un adage pas si vrai que ça

Un exemple en vidéo ? : Horizon- L’habit fait le moine

Horizon Gull, chaîne de vulgarisation en psychologie sociale nous présente ici un effet étudié par de nombreuses études dans la littérature. En psychologie, il y a plein d’études sur le sujet. On pourrait y rapprocher de l’effet de Halo
  • Effet de halo : une personne va être jugé avant tout sur son physique, et plus il/elle a un physique attirant plus il/elle sera jugé positivement. (c’est pour cette raison qu’on met de jolies jeunes femmes sur des talons de 25 cm au salon de l’auto à côté des voitures à vendre… sans commentaire hein)

🔸Techniques corporelles

Ne pas gigoter

On revient sur une des bases de tout à l’heure en l’élargissant un peu. Quoi de plus désagréable que de voir quelqu’un présenter un exposé en chiffonnant sa feuille, passant sa main dans ses cheveux toutes les minutes, triturant ses bagues ou se tortillant les doigts ? Savoir quoi faire de son corps quand on parle c’est maitriser son stress par l’utile.

Nos réactions (mâchonner un capuchon de stylo, jouer avec ses bagues…) sont des réactions à ce que la présentation produit comme stress chez nous. On va donc voir 3 points :

  1. Ancrer ses jambes 🌲
  • On l’a vu plus haut. On place ses jambes dans le sol, profondément comme enraciné. Et on reste droit. Ca n’empêche évidemment pas de se déplacer, il est parfois important de pouvoir se mouvoir afin de donner de la vie à notre présentation.
  • Une position ferme à l’arrêt, des pas lents et maitrisés quand on se déplace.

2. Un stylo c’est pas fou… mais c’est mieux que rien parfois. 🖊️

  • Beaucoup de manuels de rhétoriques condamnent l’utilisation d’un stylo dans les mains quand on présente quelque chose. Pour ce que ça vaut, je ne suis pas forcément d’accord.
  • Les réactions de stress sont parfois intense et on ne sait pas toujours quoi faire de ses mains. C’est pourquoi il est intéressant d’avoir un objet qui permette de réduire ce stress en direct. Pour une présentation orale d’un exposé, la télécommande du PowerPoint ou un stylo pour écrire au tableau semblent de bonnes pistes, à condition de ne pas en abuser.
  • On peut garder le marqueur en main, mais pas le décapuchonner et recapuchonner toutes les 3 secondes, ni faire du pen-spinning avec. L’objet est là pour nous occuper la main, et pour illustrer avec. (voir partie suivante)

3. Que faire de ses mains ? 🙌

  • Illustrer : Un illustrant c’est un mouvement qui accompagne un propos. On peut faire des illustrants avec les mains ou avec un objet.

🔹 Stylo/pointeur — objets

  • avec le laser d’un pointeur on peut mettre en évidence : entourer une notion, souligner un point d’intérêt…
  • toujours avec le pointeur on peut créer un chemin visuel pour notre auditoire sur un powerpoint en montrant un endroit de la diapositive puis un autre
  • Avec un stylo on peut illustrer en pointant dans l’air des choses. Point un à gauche, point 2 au milieu, point 3 à droite.
  • Enfin, les objets peuvent servir d’exemple à part entière. (ex : “pour illustrer le principe de gravité, prenons ce stylo et cette trousse…”)

🔹 Mains

  • Les illustrations avec les mains sont primordiales pour donner du volume à notre présentation au delà du discours.
  • On peut balayer du revers de main, montrer un point A et un point B argumentatifs, il est possible de montrer deux choses et les relier via les mains. On peut pointer, mouliner… les exemples sont si nombreux qu’il est presque impossible de les noter.

🔹Illustration des illustrants : Thomas Pesquet style🚀

  • Un très bon communiquant qui s’exprime avec les mains, c’est Thomas Pesquet. je mets ici un extrait de vidéo où on comprend l’intérêt d’illustrer grâce au mouvement :
L’illustration de la gravité d’abord et le poids du scaphandre, les illustrants qui suivent pour la temporalité, les mouvements à droite et à gauche illustrant toutes les parties du discours… on peut faire ça longtemps.

Porter sa voix

La voix est ce qui porte nos idées. Il est primordial de la travailler et d’en prendre grand soin. S’entrainer à avoir la voix qui porte est un prérequis nécessaire pour être entendu et compris, mais aussi pour s’imposer en cas de prise de parole dans un environnement bruyant.

Voyez les experts de la voix, les chanteurs d’opéra qui sont capable de chanter et d’être parfaitement entendu jusqu’à l’autre bout de la salle, alors qu’ils sont accompagnés par un orchestre au grand complet, quand bien même les musiciens jouent au maximum de leur puissance ! Iels font cela sans forcer ou casser leur voix, en fin de prestation les cordes vocales sont fatiguées mais pas abimées.

La question donc, que faire ?

🔹La respiration

Je ne vous apprend rien, la voix est avant tout un instrument à vent. Il convient donc d’apprendre à respirer par le ventre, pour optimiser la puissance générée à l’inspiration comme à l’expiration.

Il y a une section dans la 3ème partie de cet article qui traite de la respiration, mais pour les besoins de l’explication : on respire avec le ventre quand on sent la main posée sur le ventre se soulever à l’inspiration. Si c’est les épaules, alors c’est une respiration thoracique, pas utile pour l’exercice oratoire.

Donc pour parler fort, on on inspire et on parle avec le ventre. Ca donne du coffre.

🔹Le port de tête

Qui vient ici pour préparer la partie suivante. Garder une tête droite pour faciliter la sortie d’air et mieux diriger ce qu’on veut dire vers l’auditoire.

🔹La projection

On parle de projection pour désigner l’endroit où l’on “envoie” notre voix. Une projection idoine demande un peu de pratique, mais reste une compétence majeure pour parler en public sans micro.

J’ai deux amis experts dans le domaine (Coucou Robin & Marylin si vous voyez ça un jour), et m’ont montré l’importance d’avoir une voix qui porte. Le premier m’a fait remarquer à l’époque de l’IUT que ma voix tombait bien souvent à mes pieds car je ne la dirigeait pas, la seconde avait aussi fait du théâtre et m’a fait réaliser qu’on pouvait très bien s’en sortir sans amplification dans un amphi blindé de Paces.

Comment faire ? Pour projeter la voix, imaginez là comme un jet d’une lance à incendie. Et essayez d’éteindre le feu présent au fond de la salle. Si vous essayez d’atteindre le dernier rang ou le mur du fond, vous pouvez être sûr que la voix portera jusqu’au bout sans crier et que tout le monde pourra entendre ce que vous avez à dire.

🦜Story-time : Lors d’une intervention en amphithéâtre, ma collègue déléguée et moi-même devions intervenir. Mais pas de micro, l’amphi était blindé et les gens ne voulaient s’arrêter de parler, créant un brouhaha recouvrant la voix de ma collègue qui parlait.

J’ai donc pris une inspiration, avant de prendre son relais, et projeté ma voix au fond de l’amphi. D’un ton fort (sans crier) et posé. Ceci ponctué de silences, afin de rajouter du poids à mes mots. En l’espace de 3 phrases, le silence était obtenu dans l’amphi pour qu’elle puisse finir sa partie.

D’où l’importance de travailler sa voix pour pouvoir se faire entendre en toutes circonstances.

Varier le ton et le rythme

Rien de plus ennuyeux sur cette terre qu’un discours sur un ton monocorde. C’est un des éléments qui fait absolument toute la différence entre un orateur moyen et un orateur plutôt bon. Le simple fait de mettre dans sa voix des différences. Crescendo, Fortissimo, Prestissimo, Lento.. tous ces termes empruntés au solfège et à la musique sont autant de cordes dans la voix de l’orateur.

En exemple, le maître orateur de la Vème république, j’ai nommé Robert Badinter en personne lors de son discours en 1981 pour l’abolition de la peine de mort (masterclass) :

Alternances entre moments de grande vocalises, des moments où il parle très rapidement et d’autres, beaucoup plus lents, où chaque mot résonne dans la salle tant ils sont assénés avec une puissance effroyable.

On peut également citer le fabuleux discours de Simone Veil à la tribune de l’Assemblée Nationale pour présenter son projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) Le 26 novembre 1974.

Rare dans la parole politique, est aussi le ton juste de cette oratrice. […] Son travail sur le seul son, fait que ça n’est plus Simone Veil qui parle aux députés, mais la Ministre. (Source)

C’est à ça qu’on reconnaît aussi un bon discours, la capacité à varier

Comment regarder les gens dans les yeux

Pour certaines personnes, on arrive dans le plus difficile en terme de technique. Que ce soit pour une présentation devant un public ou un entretien, être en mesure de regarder son/ses interlocuteurs dans les yeux est pourtant indispensable à une bonne prise de parole. On interagit avec des humains, des gens sensibles dotés d’émotions et qu’il convient de saisir avec les mots mais aussi avec le regard.

Alors même si ça parait infiniment dur, quand on parle on regarde les gens dans les yeux. Une chose importante à garder en tête, c’est la position d’importance qu’à l’orateur. En tête à tête il est parfois difficile d’oser, mais il ne faut pas oublier que la personne en face à peut-être les mêmes peurs alors qu’en osant parler on prend une forme d’ascendant. On ne peut pas sonder votre âme à travers vos yeux, en revanche on peut y lire votre détermination. → pas de honte à avoir, go on !

Maintenant la question qui subsiste c’est de savoir comment on peut faire pour se simplifier la tâche? Et la réponse va dépendre du nombre de personnes dans l’auditoire.

🔹Une seule personne (1 à 4 personnes — un jury en gros)

  • Pour regarder un jury dans les yeux on doit regarder tout le monde. C’est une nécessité, on ne peut pas en délaisser. Plonger votre regard dans celui de chaque personne qui vous regarde.
  • Technique : si vous ne supportez pas de regarder quelqu’un dans les yeux, la technique c’est de le faire sans le faire. Pour cela, fixez la personne entre les deux yeux. Il est impossible de déterminer si quelqu’un regarde nos yeux ou entre eux, et ça évite parfois le regard intimidant de certains individus.

🔹Plusieurs personnes (une classe, un amphi, une salle)

  • Regarder une assemblée est un exercice nettement plus simple sous bien des aspects. On pourrait croire que cela est plus difficile car il y a plus de monde, mais en réalité on est pas face à 1x150 personnes, mais 150x1 auditoire. On parle à une masse.
  • Il “suffit” donc de balader son regard de l’un à l’autre coin de la pièce, éventuellement en fond de salle de temps à autre.

Théâtre, les feux de la rampe : si vous êtes déjà monté.e sur une scène, vous avez déjà du voir l’effet que cela procure. Les flashs qui éclairent la scène font disparaitre le public, et on s’adresse en fait à une assemblée presque invisible. Quand on s’adresse à une foule c’est pareil, on fait disparaître les gens et on parle à une salle. C’est une méthode qui marche assez bien lorsqu’on est stressé.e de parler devant beaucoup de monde.

⚠️ Même si on s’adresse à une masse, il faut donner l’impression que l’on regarde tout le monde, ce sera moins dur pour nous, mais il faut inclure tout le monde pour être convaincant.e ⚠️

Donner l’impression de regarder tout le monde

Constat : Ne jamais balayer la salle du regard sans regarder personne. C’est bon pour avant et après. Pendant, on fixe les gens.

Lorsque vous vous adressez à moins de 30 personnes, il est possible et souhaitable de les regarder toutes. Mais comment faire avec un auditoire plus nombreux ? Comment donner l’impression à 100 personnes et plus que vous vous adressez à chacune d’entre elles ? Vous y parviendrez grâce à une technique utilisant une illusion d’optique, causée par l’effet d’un regard à distance. Cette illusion donnera de vous l’image d’un communicateur en relation constante avec celles et ceux qui le regardent et l’écoutent.

🔹Procédé :

  1. Diviser mentalement la salle en six zones.
  2. Choisir une personne au milieu de chacun de ces espaces qui sera la cible pour la zone.
  3. Regarder cette personne à chaque passage. On donne ainsi aux personnes qui l’entourent, l’illusion qu’on s’adresse également à elles.
  4. Les deux premières rangées de la salle elles sont à balayer du regarder intégralement pour poser le regard sur chacune des personnes présentes (sans insister évidemment).

Contrôler l’attention

Dans mon domaine en magie, on entend souvent parler de détournement d’attention, mais le mot est très mauvais. Il faut en réalité parler de contrôle de l’attention.

En psychologie cognitive et en psychologie sociale, on modélise l’attention avec l’idée d’un spotlight, une lumière de scène que l’on peut braquer où bon nous semble. Et dans un discours c’est pareil, que ce soit verbalement, mais surtout corporellement.

Si on regarde à un endroit en faisant un grand geste dans ce sens pour illustrer notre propos, la quasi totalité de la salle va bouger sa tête également pour observer. C’est une forme de contrôle de l’attention à laquelle il faut faire attention, et sur laquelle on peut jouer pour animer un discours.

🦜 On est ici dans le cadre d’une intervention d’un.e élu.e étudiant.e qui veux se voir élire au conseil de la CFVU pour essayer de changer les budgets et ramener un peu d’argent à son UFR qui n’a pas un rond.

“[…] On est ici pour parler de précarité étudiante, si je suis ici aujourd’hui devant vous ce n’est pas pour vous supplier de voter pour moi, rien ni personne n’est assez bon pour vous forcer à faire cela. Non. Si je suis ici devant vous, c’est pour vous montrer la réalité de notre université, de notre UFR. Regardez ce plafond - lève les yeux et monte sa main pour montrer le toit décrépit du batiment des psychos de grenoble - est-ce vraiment un lieu où on a envie de passer des heures ? Mais ce n’est pas le seul exemple, nos murs tombent en ruines - à nouveau un mouvement de bras pour ouvrir vers le côté droit de la salle - . Les générations futures méritent mieux, VOUS méritez mieux.”

Nous sommes à la fin de cette première partie, en espérant qu’elle ait pu vous apporter des connaissances utiles pour vos prises de paroles quotidiennes, et je vous invite à regarder la seconde partie juste ici.

📚 Sources :

Une partie des bouquins là dessous sont citées à titre de références rhétorique et d’éloquence, mais je ne les ai pas (encore) touts lus. Ceci étant, ils font parti des grands classiques quand on touche à ce domaine.

Bertrand Périer pour l’éloquence +++

Clément Viktorovitch pour la rhétorique +++

Robert Badinter le maître de l’art oratoire

Éloquence, Rhétorique et Art Oratoire :

  • Le pouvoir Rhétorique, Clément Viktorovitch
  • La parole est un sport de combat, Bertrand Périer
  • Sur le bout de la langue, Bertrand Périer
  • L’exécution, Robert Badinter
  • Influence et Manipulation, Robert Cialdini
  • La rhétorique aujourd’hui, Alexandre Motulsky-Falardeau
  • La rhétorique mode d’emploi, Nicole Fortin
  • Dictionnaire historique de la langue française
  • De l’orateur, Cicéron
  • Rhétorique à Herennius
  • Institution oratoire, Quintilien
  • Rhétorique, Aristote
  • La parole en public, Maurice Hougardy
  • Essai sur l’éloquence judicaire, Maurice Garçon
  • Remarques sur la parole, Jacques Charpentier
  • Convaincre, Jean Denis Bredin, Thierry Lévy
  • Introduction à la rhétorique, Olivier Reboul
  • Dictionnaire de rhétorique, Georges Molinié
  • La parole en public, Jean Paul Guedj
  • L’art d’avoir toujours raison, Schopenhauer
  • La défense pénale, Alessandro Traversi (traduction de Caterina Wiskemann)
  • Introduction à l’art de la plaidoirie, Pascal Créhange
  • Art et techniques de la plaidoirie, L. Gratiot, C. Mécary
  • Le pouvoir des mots, Josiane Boutet
  • Le secret des orateurs, Stéphane André
  • Choisir le mot juste, Patrick Dupouey
  • L’Age de l’éloquence, Marc Fumaroli
  • Books of Wonder n°2, Tommy Wonder — pour la voix qui porte.
  • Communiquer en public sans anxiété de Renée Hudon et Valérie Auger-Hudon

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Guillaume Chandelier

Étudiant en M1 Neuropsychologie et Neurosciences Cliniques à l’UGA, passionné d’un tas de trucs que j’essaie de partager ici de façon simple et compréhensible.